Collecte des déchets ménagers à Paris en 2018 |
Prologue
Le déchet est consubstantiel au vivant. Depuis toujours l’homme jette mais c’est la manière de le faire et le statut des déchets qui ont changé.
On trouve trace de choses abandonnées dès l’antiquités telles ces vases que l’on voit au Louvre, reconstitués à partir de bris trouvés dans des sites archéologiques qui n'étaient finalement que des "décharges". Mais à cette époque si l'on jette déjà, cela reste strictement minimal vu que les emballages n'existent pas.
Au départ l’homme laisse donc la nature digérer ses déchets. La plus grande partie d’entre eux sont des biodechets et l’homme perçoit le processus excrémentiel, forme première et organique du déchet comme un signe du vivant : un organisme qui ne produit plus de déchets est mort !
Les déchets ont donc été longtemps un marqueur positif de l’activité humaine, notamment de notre sédentarisation, de l’invention du chez-soi d’où l’on pousse les rebuts.
La butte du labyrinthe du jardin des plantes ou les remblais sur les grands boulevards vers les métros Bonne nouvelle / Strasbourg St-Denis sont à l’origine de simples accumulations détritiques.
Longtemps dans les villes les déchets étaient là, partout, faits de boues dans lesquelles se mêlaient excréments, déjections animales et matières organiques (ce que nous appelons maintenant les biodéchets). Avant le tout à l’égout était le règne du tout à la rue.
Il est d'ailleurs amusant de savoir que le premier nom de Paris, Lutèce vient du latin lutum qui signifie en saleté, fange, ordure …
Ce sont justement ces boues qui n'ont cessé de poser d’importants problèmes d’hygiène et furent responsables de la prolifération d’affreuses épidémies telles la peste et le choléra tout au long du moyen âge.
C'est pour y mettre fin que Louis XII a souhaité dès 1506 mettre en place une logistique de collecte des immondices de Paris, mais comptant faire financer le dispositif par l’impôt, il fut obligé, devant l’hostilité générale, d'abandonner son projet.
Mais à cette époque, il y avait très peu d’autres déchets au delà de ces boues immondes : os, papiers, chiffons ... et tous étaient récupérés avec méthode, transformés et réemployés.
Des os, on a longtemps fait du charbon animal, de la colle, du phosphore - nécessaire à la fabrication des allumettes, des engrais et de petits objets courants comme les peignes, les boutons ou les manches.
Les chiffons deviennent papier ! Rappelons qu’en ces temps là, les matières synthétiques n’existent pas. Les tissus sont donc fait des plus belles fibres végétales qui, en sus, ont été assouplis par le tissage.
On récupère donc ces déchets textiles, on les trie, les découpe et les met à tremper dans des pourrissoirs durant plusieurs semaines. La préparation est ensuite « défilée », versée dans un cadre monté sur une grille afin d’égoutter, puis pressée et séchée simplement sur un étendoir.
Quant à ces boues que j’évoquais, elles sont collectées directement par les cultivateurs des zones périurbaines et deviennent fumier afin de fertiliser les terres.
Cela donne d'ailleurs l’idée à la ville de Paris de tarifer ce droit de boue, sous la forme d’une redevance dès 1854.
On peut donc avancer qu’à ces époques les déchets n’existent pas, ils ne sont qu’un état transitoire de la matière et, en tant que matière, ils portent en eux tous potentiels, menaces comme opportunités.
Naissance du déchet moderne
Fontaine parisienne, été 2018 |
C'est au milieu du 19ème siècle que les déchets solides et liquides commencent à être séparés avec la création du tout à l’égout de Paris sous l’impulsion du préfet Haussmann.
Un peu plus tard, en 1884, le préfet de Seine, monsieur Poubelle, en charge de l’administration courante de la ville de Paris, signe un arrêté obligeant les propriétaires d’immeubles à mettre à la disposition des occupants des récipients communs, munis d'un couvercle et d’une contenance suffisante pour le recueil des déchets ménagers.
L’arrêté prévoit un dispositif de tri au moyen de 3 contenants obligatoires : 1 pour les putrescibles (biodéchets), 1 pour les chiffons et le papier, 1 pour le verre, la faïence et les coquillages.
Les résidus d’activités humaines jusqu’alors marqueurs de prospérité sont d’un coup rendus invisibles.
Dans le même temps la plupart des pratiques circulaires et synergiques entre milieux urbains, ruraux et industriels sont abandonnées :
- Des engrais issus de ressources minérales ou non renouvelables sont inventés et remplacent les boues excrémentielle.
- L’industrie papetière passe à l’extraction de la cellulose végétale et abandonne le recyclage des chiffons
Les résidus urbains qui étaient jusqu'alors pour les scientifiques, les industriels et les agriculteurs une véritable manne de ressources sont peu à peu délaissés au bénéfice d'autres matières premières plus rentables ou plus commodes. Les pratiques de circularité des flux qui permettaient d'assurer une certaine salubrité sont finalement abandonnées, et dès les années 1880, les déchets urbains sont définitivement dévalorisés malgré quelques tentatives marginales de leur trouver de nouveaux débouchés.
L’abandon devient commun. Le vocabulaire change. Les résidus deviennent "déchets" ou "eaux usées" et n’étant plus réemployés, ils deviennent finalement une charge pour la collectivité.
C’est à partir de l’entre 2 guerres que les ménages ont a supporter le coût de l’enlèvement et du traitement de leur déchets. Mais malgré cela ce geste d’abandon passe pour libératoire, le développement des produits jetables - cols de chemises, serviettes hygiéniques - passe pour une avancée de l’hygiène et un moyen de se simplifier la vie. Jeter est plus qu'une mode, c'est un véritable art de vivre.
De nos jours le déchet n’est d'ailleurs rien d’autre que le produit d’un geste, c'est ainsi qu'il est juridiquement défini dans la loi du 15 juillet 1975 : "est considéré comme déchet tout résidu de production, transformation ou d’utilisation, ou plus généralement tous biens que le détenteur destine à l’abandon"
Cette définition est complétée en 1992 de la notion de déchet ultime - le déchet que l’on n’est plus en mesure de traiter dans les conditions techniques et économiques du moment.
Depuis toujours donc, l’homme jette mais c’est la manière de le faire, de vivre avec le déchet puis enfin la nature de ces déchets qui ont changé.
Mise en place du système actuel de traitement des déchets
Dès l’entre 2 guerres, le déchet n’a plus vraiment de débouché productif et passe d’un état transitoire de la matière à un état irrémédiable : le déchet devient absolu.
Notre système où les ménages payent par l’impôt le coût de la collecte et du traitement de leur déchets, lesquels sont confiés majoritairement à des prestataires privés s’installe. Tout au long du XX siècle la solutions la plus répandue, parce que la moins chère et la plus commode, est la mise en décharge. Elles prolifèrent à proximité des villes et commencent à être vécues comme des nuisances. Certaines sont "controlées", d’autres sauvages ... mais en 1975 ce sont les 2/3 des ordures ménagères qui croupissaient en décharges sauvages.
L’incinération passe alors comme une alternative clean, le feu apparaissant comme une solution efficace, à même de faire disparaître définitivement le caractère immonde du déchet. Cependant cette option reste couteuse et il est vain de vouloir faire disparaitre un déchet.
Les déchets se traitent mais ne disparaissent jamais - pour 1 tonne incinérée, il restera 300 kg de résidus toxiques.
On pense alors à la mise en décharge en mer et cette option reste autorisée par la loi jusqu’au milieu des années 1970. On estime alors qu'à cette date 50 millions de tonnes de déchets avaient été rejetées sciemment dans les océans ...
Epilogue
Si nous sommes revenus de certaines pratiques de gestion dramatiquement polluantes et dispendieuses des déchets, rien n'est pour autant résolu. Le flot de déchets produit par notre mode de vie ne cesse de croitre - x 2 en cinquante ans - et la nature de nos déchets se complexifie ...
Si je peux vous conseiller en quoi que ce soit dans vos actions de réduction des déchets, n'hésitez pas à m'écrire en commentaire ou MP !
A très bientôt 😘
Odile
Sources
- L'invention des déchets urbains / Sabine Barles
- Histoire des hommes et de leurs ordures / Catherine de Silguy
- Homo Detritus / Baptiste Monsaingeon
- Les déchets / Tristan Turlan
Passionnant ! Je ne connaissais pas précisément tout cela ! J'avais lu Arlette Farge "vivre dans la rue au 18 e s" et il y avait par delà une étude des moeurs et de la société, une étude des corps qui m'avaient donné un aperçu du traitement ou du non traitement des productions du corps, des biens produits et consommés ... C'est une vraie question sociologique ! Aujourd'hui on est étouffés par nos déchets, en même temps on ne voudrait pas les voir. Les municipalités font de grands efforts et pourtant on trouve toujours des dépôts sauvages comme tu le montres ... C'est complètement fou ! Chez moi : point positif, j'habite depuis très peu de temps dans une résidence où il y a un compost collectif qui sert à alimenter les espaces verts. Je suis super contente, mais quel dommage que si peu de gens l'utilisent !!! Surtout que dans ma petite ville près de Toulouse les poubelles ne sont plus récoltées qu'une fois par semaine et déchets recyclables une fois toutes les deux semaines ... Cela soulagerait grandement d'utiliser le compost !!! Il va falloir faire une campagne de communication dans mon immeuble !!! : )) Il y a une chose que je regrette c'est qu'à l'école en général on ne parle jamais de cela, du recyclage ... l'écologie est évoquée vraiment trop brièvement, et quand on voit les listes de fournitures scolaires on tombe littéralement dans les pommes ... (tu en avais parlé sur instagram je crois), ce serait pourtant tellement important de faire passer ces messages auprès des jeunes !
RépondreSupprimerBonne journée Odile (et bonnes vacances scolaires) !
Emily.